À quel moment la souffrance émotionnelle devient une stratégie de protection ?
La souffrance émotionnelle apparaît d’abord comme une réaction directe à une situation. Une rupture, une tension familiale, une humiliation, une solitude . Au début, elle indique quelque chose : un besoin non écouté, une limite dépassée, une blessure encore vivante. Dans certains cas, cette souffrance cesse d’agir et commence à orienter le comportement. Elle ne se contente plus d’accompagner la vie, elle la structure. À ce stade, elle devient ce que la psychanalyse adlérienne considère comme une stratégie de protection psychique.
Ce mécanisme ne relève pas de la volonté. Il se construit très tôt, dans ce qu’Adler appelle le style de vie : une manière d’exister, élaborée en fonction de la perception de soi, du rapport aux autres, et de la place ressentie dans le monde. La souffrance n’est plus seulement douleur, elle devient une organisation intérieure qui évite certains risques : changement, confrontation, abandon, responsabilité émotionnelle.
Comment reconnaître une souffrance qui nous protège ?
Un indicateur apparaît lorsque la douleur précède l’action. Elle surgit à l’idée de. Pas uniquement lors d’un événement réel. Elle bloque avant même que quelque chose ne soit entrepris.
On retrouve souvent :
-
une fatigue persistante, amplifiée lorsqu'une décision approche,
-
une difficulté à agir alors que les capacités sont présentes,
-
des tensions corporelles régulières (nuque, ventre, dos),
-
des épisodes de tristesse ou d’angoisse lors de moments d’engagement relationnel ou professionnel,
-
des scénarios répétés où la personne se retrouve exactement dans la même position intérieure.
Quand la souffrance empêche plutôt qu’elle n’alerte, elle fonctionne comme une stratégie.
Fonctionnement psychique : ce que la souffrance empêche
La psychanalyse adlérienne considère que tout comportement répond à un but, même si ce but n’est pas conscient. La souffrance émotionnelle stratégique protège souvent d’une expérience perçue comme plus dangereuse :
avoir besoin de quelqu’un, demander, se séparer, s’affirmer, réussir, ou se positionner.
Le sujet choisit inconsciemment la douleur plutôt que le risque.
La souffrance devient alors plus supportable que l’incertitude.
Elle évite :
-
la peur d’être rejeté,
-
la honte liée à l’impuissance ou au besoin,
-
la possibilité d’un échec visible,
-
ou le vertige d’une transformation personnelle.
Tant qu’elle occupe le devant, le mouvement vital reste contenu.
Origine du mécanisme – style de vie adlérien
Dans l’enfance, lorsque la vulnérabilité n’a pas pu être reconnue ou intégrée, le psychisme trouve un moyen de rester en cohérence. Si l’expression de la douleur a permis de recevoir de l’attention, de la compréhension ou simplement un espace pour ne pas tenir, ce mécanisme peut devenir un repère.
L’enfant n’analyse pas. Il ressent. Il comprend que la fragilité, lorsqu’elle se montre, provoque une réaction. Un ralentissement. Une forme de présence. Il intègre alors cette organisation comme un moyen de rester acceptable ou de ne pas disparaître.
À l'âge adulte, ce processus se reproduit. Il n'appartient plus au domaine du choix, mais à celui de l’intelligence adaptative. Le symptôme sert à rester fidèle à la représentation initiale : celle de quelqu'un qui ne doit pas trop demander, qui ne peut pas vraiment s’appuyer, ou qui tient grâce à ce qui lui fait mal.
Manifestations concrètes (schémas répétitifs)
-
Découragement ou lourdeur dès qu’une opportunité demande une prise de responsabilité.
-
Recherche inconsciente de relations où la place reste celle de « celui qui doit prouver » ou de « celle qui supporte ».
-
Doutes permanents sur la légitimité à être heureux ou à occuper une position stable.
-
Repli lorsque l’entourage attend un mouvement.
-
Hypervigilance émotionnelle : anticipation des problèmes, préparation mentale à l’échec.
-
Difficulté à se projeter dans une vie différente car « ne pas souffrir » semble presque étranger.
Quand la souffrance devient stratégie : Le seuil de bascule
L’indicateur le plus significatif apparaît lorsque la personne n’arrive plus à relier la souffrance à un événement présent. Elle la ressent alors même que les conditions ont changé. Cette douleur correspond à une mémoire émotionnelle, pas à la réalité du moment. Ce fonctionnement instaure une constance : si je souffre, je garde ma place.
Au niveau analytique, la souffrance sert de régulateur. Elle ralentit, bloque, parfois même isole, afin d’éviter une dissonance intérieure. Ce qui fait obstacle, ce n’est pas l’intensité de la douleur, mais sa fonction.
Processus de transformation – approche adlérienne
L’objectif n’est pas de supprimer la souffrance, ni de la corriger. L’enjeu consiste à identifier ce qu’elle protège.
Travail de fond :
-
Repérer le moment d'apparition de la souffrance.
Non pas ce qui l’a provoquée, mais ce qu’elle évite. -
Nommer l’émotion de fond.
Peur, honte, solitude, colère, tristesse.. -
Comprendre le but psychique privé.
Rester acceptable, ne pas déranger, ne pas se confronter, ne pas perdre encore. -
Reconstruire un mouvement intérieur qui ne passe pas par l’auto-limitation.
Non par obligation, mais par capacité retrouvée.
Le travail analytique permet une modification du style de vie. La personne cesse de passer par la douleur pour conserver son axe. Elle commence à agir depuis une position plus stable, sans devoir souffrir pour rester cohérente.
Accompagnement émotionnel et psychanalyse adlérienne
(Cabinet à Ostwald – consultations également en visio)
L’accompagnement que je propose s’appuie sur :
-
l’analyse du style de vie,
-
la compréhension du profil émotionnel (séquences du cerveau triunique),
-
l’identification des mécanismes de compensation,
-
et l’exploration de l’enfant intérieur pour reconstruire un mouvement adulte aligné.
Ce travail ne vise pas l’adaptation. Il vise l’authenticité psychique.
Conclusion
Une souffrance devient une stratégie quand elle prend la place de l’action. Elle n’indique plus simplement qu’un endroit fait mal. Elle empêche d’avancer vers un autre endroit. Comprendre cette fonction permet de libérer progressivement le mouvement. Une souffrance qui retrouve sa fonction première redevient un signal. Et ce signal peut enfin orienter, non gouverner.
Quand le corps se tait, c’est qu’il n’a plus la place pour dire.
Mon travail consiste à rouvrir cet espace intérieur entre le corps, la pensée et l’émotion.
C’est dans cette cohérence retrouvée que tout recommence à circuler.